(Jur) CEDH : l’absence de l’avocat à une phase cruciale de la procédure

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Le requérant est un ressortissant turc qui soutenait que son droit à un avocat avait fait l’objet d’une restriction systématique pendant la procédure pénale qui avait été ouverte contre lui pour appartenance à une organisation terroriste, extorsion et meurtre.Pendant la durée de la procédure pénale le concernant, il changea de positionnement concernant les accusations qui le visaient.Lorsqu’il fut arrêté et interrogé par la police, il déclara qu’il s’était livré à six reprises à des actes d’extorsion pour le compte du PKK et qu’il avait fait le guet pendant un meurtre. Devant le procureur et le juge d’instruction, il avoua trois actes d’extorsion et nia toute implication dans le meurtre. En application d’une interdiction légale alors en vigueur, il ne fut pas représenté par un avocat à ce stade.Pendant son procès en revanche, il fut représenté par un avocat et retira toutes ses déclarations antérieures. Cependant, plus tard, il décida de les confirmer et demanda à bénéficier de la loi qui lui permettait d’obtenir une réduction de peine s’il livrait des informations sur ses activités et sur d’autres accusés.Ensuite, pendant cinq ans, jusqu’à sa condamnation, il maintint qu’il avait été impliqué dans deux actes d’extorsion et qu’il avait fait le guet pendant un meurtre, mais nia toute responsabilité pour ce crime. Il fut reconnu coupable sur la base de ses dépositions, de celles de ses co-accusés et des victimes ainsi que sur la foi de procès-verbaux d’une séance d’identification. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement à vie.En appel, son avocat contesta, en vain, l’utilisation qui avait été faite des déclarations de son client recueillies hors de la présence d’un avocat.La Cour rappelle que l’accès à un avocat pendant la phase d’enquête peut être temporairement limité lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » de le faire. Toutefois, les restrictions d’accès à des conseils juridiques ne sont autorisées que dans des circonstances exceptionnelles, doivent être de nature temporaire et doivent être fondées sur une évaluation individuelle des circonstances particulières de l’affaire. Pour évaluer si des raisons impérieuses ont été démontrées, il est important de vérifier si la décision de restreindre les conseils juridiques était fondée en droit interne et si la portée et le contenu de toute restriction aux conseils juridiques étaient suffisamment circonscrits par la loi pour guider la décision opérationnelle.Par ailleurs, la constatation de raisons impérieuses ne saurait résulter de la simple existence d’une législation interdisant la présence d’un avocat.En l’espèce, la Cour considère qu’il n’y avait aucune raison impérieuse de restreindre le droit du requérant à un avocat pendant sa garde à vue.La Cour doit tout d’abord vérifier si le préjudice causé par la restriction systémique du droit d’accès du requérant à un avocat en détention a rendu le procès inéquitable dans son intégralité ou a été réparé par le fonctionnement des garanties nécessaires au niveau national, qui ont d’ailleurs été soulevées par la suite par le gouvernement lors de l’examen de l’affaire devant la Cour. Le Gouvernement soutient que le fait que le requérant ait répété ses déclarations au cours du procès et ait maintenu cette position en présence de son avocat pendant cinq ans est un élément démontrant que le procès n’a pas été sérieusement compromis par la restriction systémique de son droit d’accès à un avocat pendant la phase préalable au procès et en effet, la Cour ne peut que constater l’incohérence de la position du requérant vis-à-vis de ses déclarations.La Cour attache de l’importance au fait que le requérant ne s’est pas plaint devant elle que cette situation était le résultat de pressions indues, de la contrainte ou de tout autre type de comportement inapproprié de la part d’agents de l’État.La Cour observe qu’il n’est pas contesté que le formulaire de déclaration établi par la police comprenait des déclarations auto-incriminantes prétendument faites par le requérant, en l’absence d’un avocat, et qu’elles ont ensuite été utilisées par le tribunal de première instance pour le condamner et condamner lui à la prison à vie. Il n’est pas non plus contesté entre les parties que le requérant a par la suite demandé à bénéficier de la loi en vue d’obtenir une réduction de sa peine, au cours de laquelle il a confirmé ses déclarations antérieures.Par ailleurs, la Cour estime que le comportement du requérant lors des interrogatoires et interrogatoires de police par un juge d’instruction était susceptible d’avoir des conséquences telles pour les perspectives de sa défense qu’il n’y avait aucune garantie que l’assistance apportée ultérieurement par un avocat puisse remédier aux défauts survenus pendant la période de garde à vue.La Cour a déjà jugé que la modification des déclarations d’un requérant tout au long de la procédure pénale, n’est pas suffisant pour décharger les autorités nationales de leur obligation de mettre en œuvre efficacement les garanties procédurales pertinentes.En effet, le préjudice causé à l’équité globale de la procédure par la restriction du droit à un avocat ne peut être annulé par la simple confirmation par un requérant de ses déclarations antérieures faites en l’absence d’un avocat à un stade ultérieur et en présence d’un avocat, à moins que cette lacune ne soit suffisamment traitée et corrigée par les juridictions nationales, c’est-à-dire par l’exclusion des déclarations faites en l’absence d’un avocat.La Cour note que le tribunal de première instance n’a ni examiné l’admissibilité des preuves fournies par le requérant en l’absence d’un avocat ni les circonstances dans lesquelles ces déclarations avaient été faites avant de les utiliser pour garantir sa condamnation et, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, l’avocat du requérant a contesté dans son recours l’utilisation de déclarations faites en l’absence d’un avocat.En conséquence, l’équité globale de la procédure dirigée contre le requérant a été entachée en raison du vice de procédure fondamental résultant de la restriction systémique de son droit à un avocat au stade de la mise en état, le fait que les juridictions nationales n’aient pas remédié à cette lacune et l’utilisation qu’ils ont faite de ses déclarations en l’absence d’avocat pour le condamner à la réclusion à perpétuité, qui est l’une des peines les plus lourdes du système de justice pénale turc conduit la Cour à considérer qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

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