(Jur) CEDH : saisie de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat

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En 2011, le parquet d’Istanbul engagea une enquête afin de détecter et de révéler les voies de communication secrètes établies entre deux organisations kurdes. Dans ce cadre, un juge assesseur de la cour d’assises d’Istanbul rendit une ordonnance à l’égard des activités d’un avocat, qui fut arrêté le lendemain à son domicile. La police judiciaire effectua des perquisitions au bureau que ce dernier partageait avec les requérants. Elle fit une copie de l’ensemble des données stockées sur le disque dur de l’ordinateur utilisé conjointement par tous les avocats ainsi que d’une clé USB appartenant à l’une des requérantes. Un représentant du barreau d’Istanbul et une requérante assistèrent à la perquisition. Les données saisies par la police furent placées dans un sac scellé.Par la suite, les requérants firent opposition contre l’ordonnance délivrée par le juge assesseur de la cour d’assises, en tant que représentants de l’avocat arrêté et en leur nom. Ils demandèrent notamment la restitution ou la destruction de leurs données numériques, faisant valoir qu’elles n’appartenaient pas à l’avocat arrêté, qu’elles étaient protégées par le secret professionnel des avocats et qu’elles avaient été saisies sans qu’aucune ordonnance ne soit rendue à cet effet. Le parquet présenta ses observations selon lesquelles ces données n’étant pas encore transcrites, il n’était pas possible de savoir à qui elles appartenaient exactement. La cour d’assises rejeta les demandes des requérants, estimant que l’ordonnance attaquée avait été rendue conformément à la loi et à la procédure.La Cour constate en l’espèce que les autorités judiciaires avaient pris connaissance, dès le jour de la perquisition, que les données électroniques en cause appartenaient majoritairement aux requérants. En premier lieu, ces données ont été saisies dans le bureau d’avocats utilisé professionnellement par les requérants. En deuxième lieu, même s’ils partageaient ce bureau avec un autre avocat, qui faisait l’objet de poursuites pénales, les requérants ont clairement fait savoir aux autorités judiciaires concernées que ces données électroniques leur appartenaient et implicitement, par conséquent, qu’elles étaient protégées par le secret professionnel.La Cour estime sur ce point que le seul fait de retenir au sein des autorités officielles une copie des données électroniques saisies dans le cabinet d’avocats des requérants a constitué en soi une ingérence aux relations de ceux-ci avec leurs clients, protégées par le secret professionnel. Elle considère que, contrairement à ce que semble suggérer le Gouvernement, il n’est pas nécessaire que lesdites données soient absolument déchiffrées, transcrites et officiellement attribuées aux requérants pour qu’il y ait une ingérence aux droits de ceux-ci protégés par l’article 8. En fait, il n’y aurait plus de secret professionnel d’avocats-clients si les autorités officielles demeuraient en possession d’une copie de ces données protégées par ledit secret.Il s’ensuit qu’il y a eu en l’espèce une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur « correspondance » au sens de l’article 8.La Cour note que la loi turque prévoit que les perquisitions ne peuvent porter que sur des faits faisant l’objet d’une enquête pénale et que le juge restitue rapidement aux avocats les données informatiques saisies dans les bureaux des avocats, au cas où les avocats l’informeraient que ces données relèvent du secret professionnel.En l’espèce, bien que les requérants aient clairement invoqué le secret professionnel dans leur recours, leurs documents ne leur ont pas été restitués, ni ont été détruits, et leur recours a été rejeté par la cour d’assises au motif que la procédure suivie était conforme à la loi.La Cour considère que de sérieux doutes pourraient surgir quant à la prévisibilité pour les requérants du refus des autorités nationales de rendre ou de détruire leurs données informatiques saisies dans le cadre d’une instruction ouverte contre un tiers alors que les requérants étaient avocats de profession et ils invoquaient le secret professionnel.Cependant, eu égard à la conclusion à laquelle elle parvient quant à la nécessité de l’ingérence, la Cour juge qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question.En effet, les requérants, avocats, n’étaient pas visés eux-mêmes par une enquête pénale, mais partageaient leurs bureaux avec un autre avocat qui faisait l’objet des poursuites pénales dans le cadre desquelles la perquisition litigieuse avait été ordonnée.L’ordonnance de perquisition ne précisait pas quels objets ou documents concrets ou spécifiques devraient être trouvés aux adresses mentionnées, y compris au cabinet d’avocats des requérants, ni comment ces éléments seraient pertinents pour l’enquête pénale concernée. L’ampleur large de l’ordonnance s’est reflétée dans la manière dont elle a été exécutée. Bien qu’un représentant du barreau d’Istanbul et l’un des requérants aient assisté à la perquisition et que les données saisies aient été placées dans un sac scellé, aucune autre mesure de protection spéciale n’était en place contre l’ingérence dans le secret professionnel. La Cour observe aussi qu’une fois le secret professionnel des relations avocats-clients invoqué et le retour des données électroniques saisies demandé, la loi imposait aux autorités judiciaires une obligation de procéder rapidement à un examen des données saisies, et, le cas échéant, de restituer aux intéressés ou de détruire les données protégées par ce secret. Cependant, la législation et la pratique du droit national n’étaient pas claires sur les conséquences attribuées à un éventuel manquement par les autorités judiciaires à cette obligation. En tout état de cause, on ne saurait conclure que l’examen de la demande des requérants par les autorités judiciaires ait été en conformité avec l’obligation d’assurer un contrôle particulièrement rigoureux des mesures concernant les données relevant du secret professionnel des avocats.À la lumière de l’ensemble de ces éléments, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention, les mesures imposées aux requérants quant à la saisie de leurs données électroniques et au refus de les restituer ou de les détruire n’ayant répondu à aucun besoin social impérieux, qu’elles n’étaient pas, en tout état de cause, proportionnées aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elles n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.La Cour conclut au rejet des exceptions tirées du défaut d’épuisement des voies de recours internes et à la violation de l’article 8 de la Convention.

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