(Jur) Évaluation du préjudice de la victime d’actes de concurrence déloyale

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Une cristallerie mosellane, spécialisée dans la création et la fabrication de produits d’arts de la table en cristal, reprochant à une société qui commercialise des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et en Europe ainsi que des produits en verre, dont le siège social est situé dans la même rue qu’elle, des pratiques commerciales trompeuses consistant à présenter dans ses catalogues des produits en verre mélangés à des produits en cristal afin de laisser croire que l’ensemble serait en cristal, à les présenter comme étant « made in France » et à se présenter elle-même comme un « haut lieu du verre taillé en Lorraine »  et un « spécialiste de la taille », l’assigne aux fins de cessation de ces pratiques illicites et indemnisation de son préjudice.Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.La Cour de cassation juge traditionnellement que le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l’existence par la seule évaluation qu’il en fait, sans être tenu d’en préciser les divers éléments. (Cass. ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20640, Cass. com., 24 mai 2017, n° 15-21179).Mais elle juge également que méconnaît son office le juge qui refuse d’évaluer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe (Cass. 3e civ., 6 févr. 2002, n° 00-10543, Cass. com., 10 janv. 2018, n° 16-21500) et qu’il ne peut allouer une réparation forfaitaire (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-14820, Cass. com., 3 juill. 2019, n° 17-18681), c’est-à-dire sans rapport avec l’étendue du préjudice subi.En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, la chambre commerciale retient qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale (Cass. com., 22 oct. 1985, n° 83-15096, Cass. com., 11 janv. 2017, n° 15-18669).Cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l’étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.En effet, si les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s’approprier la clientèle ou à désorganiser l’entreprise du concurrent peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu’elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l’angle d’une perte de chance, tel n’est pas le cas de ceux des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.Lorsque tel est le cas, il y a lieu d’admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes.La cour d’appel de Paris, après avoir constaté que les deux sociétés sont directement concurrentes, sur un marché restreint où agissent d’autres opérateurs, de plus grande taille et notoriété, retient qu’en trompant le consommateur sur la composition, l’origine et les qualités substantielles des produits vendus, la société concurrente s’est assuré un avantage concurrentiel au préjudice de la cristallerie. Elle relève en particulier que la tromperie sur la taille « made in France » lui a permis d’obtenir des prix de revient beaucoup plus bas et que, pour 2013, elle justifie n’avoir employé qu’un tailleur pour six mois, là où la société Cristallerie en employait huit, en précisant leur coût annuel. Relevant enfin que la société concurrente a bénéficié de cet avantage pour une taille représentant 10 % de son chiffre d’affaires de 5 000 000 euros, cependant que la taille représente 25 % du chiffre d’affaires de la cristallerie, qui est de 2 000 000 euros, elle évalue à 300 000 euros le préjudice subi par cette dernière en déduisant, conformément à la méthode proposée par celle-ci, de la charge d’emploi de tailleurs de la cristallerie, rapportée à son chiffre d’affaires, le montant correspondant à la charge de ces emplois pour la société concurrente, rapportée au chiffre d’affaires de celle-ci.Appelée à statuer sur la réparation d’un préjudice résultant d’une pratique commerciale trompeuse pour le consommateur, conférant à son auteur un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents, la cour d’appel a pu, pour évaluer l’indemnité devant être allouée à la cristallerie, tenir compte de l’économie injustement réalisée par la société concurrente, qu’elle a modulée en tenant compte des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par lesdits agissements. NOTE : Après avoir rappelé sa constante jurisprudence concernant la présomption de préjudice au détriment de la victime d’actes de concurrence déloyale, et l’obligation pour le juge d’évaluer d’un dommage dont il constate l’existence en son principe, c’est-à-dire l’interdiction d’allouer un dédommagement forfaitaire, la chambre commerciale approuve, par cet arrêt promis à la plus large publicité, l’application d’une évaluation inventive par la cour d’appel.Ce n’est pas le profit perdu pour la victime mais l’économie réalisée par l’auteur pratique illicite (en l’espèce en matière de charge de personnel) qui est retenue pour mesurer le préjudice.

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