(Jur) Expulsion d’un campement de Roms : atteinte à la vie privée et absence de recours effectif

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 What do you want to do ?New mailCopyLes requérants, ressortissants roumains appartenant à la communauté des Roms, indiquent vivre en France depuis de nombreuses années et, à l’exception de l’une d’entre eux, être titulaires de titres de séjour d’une durée de dix ans en qualité de ressortissants de l’Union européenne. Au moment des faits, tous les enfants en âge scolaire étaient scolarisés. Après le démantèlement d’un précédent campement, les requérants faisaient partie d’un groupe de caravanes comprenant 141 personnes dont une cinquantaine d’enfants, installé depuis le 1er octobre 2012 sur un terrain à La Courneuve. À la demande du maire de la Courneuve, le préfet de la Seine-Saint-Denis adopta un arrêté les mettant en demeure de quitter les lieux dans un délai de quarante-huit heures, faute de quoi il serait procédé à leur évacuation forcée. Leurs recours administratifs ayant été rejetés, et aucun hébergement ne leur étant proposé, trois des requérants saisirent la Cour d’une demande d’application de l’article 39, à savoir de mesures provisoires en demandant la suspension de l’arrêté préfectoral et en invoquant les articles 3 et 8 de la Convention ainsi que l’article 2 du Protocole n° 1 (droit à l’instruction).En raison des garanties données par le gouvernement français, selon lesquelles avant toute expulsion le préfet procèderait au diagnostic social prévu par le droit interne et assurerait l’hébergement d’urgence de toute personne vulnérable, le juge de permanence décida de ne pas appliquer l’article 39.Les requérants estiment d’abord avoir fait l’objet d’un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention.Or, la Cour constate qu’il n’est pas fait état de violences dues à leur expulsion et qu’Il ne saurait donc être reproché aux autorités françaises d’être restées indifférentes à leur situation.Les requérants considèrent aussi que l’évacuation du campement qu’ils occupaient a constitué une ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile.S’agissant des modalités de l’expulsion elle-même, la Cour relève les éléments suivants que cette mesure n’a pas été prise en exécution d’une décision de justice, mais selon la procédure de la mise en demeure prévue par l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 et le choix de cette procédure a entraîné plusieurs conséquences.En premier lieu, vu le bref délai entre l’adoption de l’arrêté préfectoral, sa notification et l’évacuation elle-même, aucune des mesures préconisées par circulaire n’a été mise en place. Si le Gouvernement soutient qu’il n’y aurait pas eu d’obligation de relogement dès lors que les requérants disposaient de caravanes, la Cour note, d’une part, que ces derniers ont fait valoir que presque toutes leurs caravanes ont été saisies et que les mesures énumérées par la circulaire (diagnostic des familles et personnes concernées, accompagnement en matière scolaire, sanitaire et d’hébergement) sont applicables indépendamment du fait que les intéressés disposent ou non de caravanes. Il n’y a donc eu aucune prise en compte des conséquences de l’expulsion et de la situation particulière des requérants.En second lieu, en raison de la procédure de mise en demeure appliquée, le recours prévu par le droit interne est intervenu après la prise de décision par l’administration, alors que dans d’autres cas, le juge judiciaire examine la proportionnalité de la mesure avant de prendre sa décision. Or aucun des recours que les requérants ont introduits ne leur ont permis ultérieurement de faire valoir leurs arguments devant une juridiction. Dans ces conditions, la première juridiction à se prononcer sur la proportionnalité de l’ingérence a été la cour administrative d’appel dix-huit mois après l’évacuation du campement.Or, d’une part, la Cour a affirmé que l’appartenance des requérants à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers à ce titre doivent être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont tenues d’effectuer, non seulement lorsqu’elles envisagent des solutions à l’occupation illégale des lieux, mais encore, si l’expulsion est nécessaire, lorsqu’elles décident de sa date, de ses modalités et, si possible, d’offres de relogement. D’autre part, au titre des garanties procédurales de l’article 8, toute personne victime d’une ingérence dans les droits que lui reconnaît cette disposition doit pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes pertinents qui en découlent. Tel n’ayant pas été le cas en l’espèce, la Cour conclut que les modalités de l’expulsion des requérants ont entraîné en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention.Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour contester la légalité de l’arrêté préfectoral de mise en demeure. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir un redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être effectif en pratique comme en droit. L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’instance dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul.La Cour relève que le droit interne prévoit en la matière un recours spécifique, institué par l’article 9 précité. Il s’agit d’un recours suspensif devant le magistrat délégué par le président du tribunal administratif, à savoir un juge qui remplit les conditions d’indépendance, d’impartialité et de compétence pour examiner les griefs. Dans le cadre de ce recours, le juge administratif examine si les conditions posées par l’article 9 sont remplies, notamment s’il est justifié d’atteintes ou risques d’atteintes à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques et peut annuler l’arrêté préfectoral dans le cas contraire.Si ce recours paraît effectif, la Cour relève qu’en l’espèce le magistrat délégué ne l’a pas examiné au fond, mais l’a déclaré irrecevable au motif que le demandeur n’établissait pas résider sur le terrain en cause et ne justifiait pas dès lors de son intérêt à agir contre l’arrêté préfectoral. S’il est vrai que la cour administrative d’appel a annulé ce jugement, la Cour relève que l’arrêt de la cour est intervenu dix-huit mois après l’évacuation du campement. Dans ces conditions, elle considère que le demandeur n’a pas bénéficié d’un recours effectif au sens de l’article 13.Le Gouvernement fait valoir que le référé liberté prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative constitue également un recours effectif. La Cour note que ce recours peut être formé en cas d’urgence, s’il est porté atteinte à une liberté fondamentale, devant le juge des référés administratifs, soit un magistrat présentant les mêmes garanties d’indépendance, d’impartialité et de compétence que le magistrat mentionné ci-dessus. Tel qu’interprété par le Conseil d’État, ce texte permet au juge des référés de prendre toute mesure de nature à préserver la liberté fondamentale mise en cause, y compris la suspension de l’arrêté.Toutefois, la Cour observe que la requête en référé liberté a également été déclarée irrecevable en raison de l’existence du recours spécifique prévu par l’article 9 de la loi précitée. Dans ces conditions la Cour constate qu’aucun examen juridictionnel des arguments des requérants sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention n’a eu lieu en première instance, ni au fond, ni en référé.La Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 13 de la Convention.

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