(Jur) Requalification du contrat liant un chauffeur à Uber en contrat de travail

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Après avoir loué un véhicule auprès d’un partenaire de la société néerlandaise Uber BV et s’être enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyageurs par taxis, un chauffeur contractuellement lié à cette société exerce depuis octobre 2016 son activité en recourant à la plateforme numérique Uber.La société Uber BV désactive définitivement son compte sur la plateforme à partir du mois d’avril 2017 et il saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail, et forme des demandes de rappels de salaires et d’indemnités de rupture.Selon l’article L. 8221-6 du Code du travail, les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.Selon la jurisprudence constante de la Cour (Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187), le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.Selon cette même jurisprudence, peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.À cet égard, la cour d’appel retient que le chauffeur a été contraint, pour pouvoir devenir « partenaire » de la société Uber BV et de son application éponyme de s’inscrire au Registre des Métiers et que, loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, il a ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV, qui n’existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la société Uber BV.La cour d’appel retient, à propos de la liberté de se connecter et du libre choix des horaires de travail, que le fait de pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation de travail subordonnée, dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV.Au sujet des tarifs, la cour d’appel relève que ceux-ci sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix, puisque le contrat prévoit une possibilité d’ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur a choisi un « itinéraire inefficace », le chauffeur produisant plusieurs corrections tarifaires qui lui ont été appliquées par la société Uber BV et qui traduisent le fait qu’elle lui donnait des directives et en contrôlait l’application.S’agissant des conditions d’exercice de la prestation de transport, la cour d’appel constate que l’application Uber exerce un contrôle en matière d’acceptation des courses, puisque, sans être démenti, le chauffeur affirme que, au bout de trois refus de sollicitations, lui est adressé le message « Êtes-vous encore là ? », la charte invitant les chauffeurs qui ne souhaitent pas accepter de courses à se déconnecter « tout simplement », que cette invitation doit être mise en regard des stipulations du contrat, selon lesquelles : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services Uber par le client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber », lesquelles ont pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non, ce d’autant que le contrat stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l’utilisateur, soit en personne lors de la prise en charge, ou depuis l’Application Chauffeur si l’utilisateur choisit de saisir la destination par l’intermédiaire de l’Application mobile d’Uber », ce qui implique que le critère de destination, qui peut conditionner l’acceptation d’une course est parfois inconnu du chauffeur lorsqu’il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber, ce que confirme le constat d’huissier de justice, ce même constat indiquant que le chauffeur dispose de seulement huit secondes pour accepter la course qui lui est proposée.Sur le pouvoir de sanction, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaît l’existence, et les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un « itinéraire inefficace », la cour d’appel retient que la fixation par la société Uber BV d’un taux d’annulation de commandes, au demeurant variable dans « chaque ville » selon la charte de la communauté Uber, pouvant entraîner la perte d’accès au compte y participe, tout comme la perte définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de « comportements problématiques » par les utilisateurs, auxquels le chauffeur a été exposé, peu important que les faits reprochés soient constitués ou que leur sanction soit proportionnée à leur commission.La cour d’appel de Paris, qui en déduit ainsi que le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif et que la société Uber BV lui avait adressé des directives, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un pouvoir de sanction, justifie légalement sa décision de dire que le contrat l’ayant lié à la société Uber BV est un contrat de travail. NOTE : Pour la deuxième fois (Cass. soc., 28 nov. 2018, n°17-20079), la chambre sociale de la Cour de cassation requalifie en contrat de travail le contrat liant les « partenaires » à une plateforme de commande d’un chauffeur de VTC.Il est établi depuis longtemps que la qualification donnée par les parties à un contrat n’exclut pas l’existence d’un contrat de travail, si l’exécution de ce contrat obéit à certains critères.La Cour de cassation, par un arrêt rendu en formation plénière et qui jouira de la plus large publicité, refuse d’adopter le critère de la dépendance économique suggéré par certains auteurs, le critère du lien de subordination se décomposant en trois éléments : le pouvoir de donner des instructions, le pouvoir d’en contrôler l’exécution, le pouvoir de sanctionner le non-respect des instructions données.Quant au travail indépendant, il se caractérise par les éléments suivants : la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs, la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.Tandis qu’un régime intermédiaire entre le salariat et les indépendants existe dans certains États européens, comme au Royaume-Uni (le régime des « workers » régime intermédiaire entre les « employees » et les « independents », ainsi qu’en Italie (contrats de « collaborazione coordinata e continuava », collaborazione a progretto »), le droit français ne connaît que deux statuts, celui d’indépendant et de travailleur salarié.

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